sujets 2024
Parrainée par Patrick Eveno et Thibault Bruttin, et orchestrée par Jean-Yves Vif, secrétaire général du Prix Médias et Ruralités, la deuxième cérémonie de remise des prix a constitué un grand moment de partage et de reconnaissance.
Devant un public de plus de huit cents participants, dix-huit lauréats ont été mis à l’honneur pour la qualité, la rigueur et la sensibilité de leur travail journalistique.
Cette édition coïncidait avec la parution du nouvel ouvrage de Patrick Eveno, grand historien des médias et du journalisme. À travers cent cinquante “unes” de presse retraçant un siècle d’histoire, le fondateur du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) propose une lecture éclairée de l’évolution du journalisme à travers tous les supports.
Son intervention a rappelé, avec la précision du chercheur et la passion du pédagogue, combien le reportage, l’enquête et la vérification des faits restent les fondements d’un journalisme exigeant.
Thibault Bruttin, directeur de Reporters sans frontières (RSF), a, quant à lui, livré un message vibrant en faveur de la liberté d’expression et de la liberté de la presse, qu’il a décrites comme indissociables dans un combat commun. Grand admirateur de René Fallet, écrivain des campagnes et observateur du quotidien, il a rappelé combien les territoires ruraux offrent un terreau précieux pour un journalisme d’écoute et d’humanité.
Les échanges et témoignages sur scène ont souligné la diversité et la richesse de l’information issue des ruralités. Chaque lauréat, par son regard et son sujet, a contribué à dessiner une France vivante, plurielle et profondément attachée à ses territoires.
Pour « 3 mois pour avoir un rendez-vous »
Marion Pépin (Radio France – Mouv’) embarque “Pour bien naître à la campagne”
Les villages du Haut-Var ne constituent pas un cas particulier dans la dégradation médicale que connaissent les campagnes. Mais la rencontre avec les habitants de ces territoires, livrée par Marion Pépin de Radio France – Mouv’, met en lumière avec justesse un enjeu majeur : l’égalité d’accès aux soins et à la prévention.
Les voix des professionnels et des femmes en attente de consultations s’enchaînent, accompagnées de commentaires mesurés, dans un reportage qui a valu à la journaliste le Grand Prix Radio. Le gynécobus parcourt les routes à la rencontre des femmes, et ses initiateurs prouvent qu’il existe, loin des certitudes d’une organisation centralisée, des solutions concrètes pour bien naître à la campagne.
Pour « L’abattage doit-il être un service public ? »
Quelle fraîcheur dans le sujet de Sandrine Gagné-Acoulon, prix spécial Radio, venue de Fréquence Luz, radio associative du pays de Lourdes et des vallées des Gaves ! Son reportage, d’une grande originalité, explore la menace qui pèse sur les petits abattoirs dans une région d’élevage. Ces structures répondent pourtant aux attentes des éleveurs comme à celles des citoyens. Plus qu’une question de circuits courts, le sujet ouvre une réflexion sur le service public, devenu celui des services aux publics.
Le cliché saisissant de Thomas Brégardis (Ouest-France)
Pris par drone à Hillion (Côtes-d’Armor), sur la plage de La Grandville, le cliché de Thomas Brégardis, photographe-reporter depuis dix-sept ans à Ouest-France, montre un cavalier et son cheval à l’entraînement sur une vaste étendue d’algues.
Sur cette plage où la mer se retire à plusieurs kilomètres de la rive, des cavaliers-drivers viennent s’exercer.
Thomas Brégardis, qui documente avec ses confrères le phénomène des algues vertes, a su saisir l’esthétique singulière de ce lieu marqué par un drame : en 2016, un joggeur y avait perdu la vie. L’enquête avait alors établi un lien entre ce décès et la présence d’algues vertes.
Journaliste-photographe indépendante, Léonor Lumineau (Mediapart) a, de son côté, entrepris un tour de France bien à elle. Non celui des sommets médiatisés, mais celui des rencontres avec des anonymes, parfois chez eux, là où le temps semble suspendu.
Loin de tout voyeurisme, Léonor Lumineau, déjà lauréate de la Fondation Lagardère, s’intéresse à la réalité de l’Ariège et plus particulièrement à celle de la médecine rurale, auprès d’une population attachée au « vivre à domicile ».
Ce reportage s’inscrit dans une série de photographies et de textes porteurs d’une vision engagée des territoires.
Pour « Cros (Puy-de-Dôme) : La transition au son des violons »
Le sujet d’Axel Puig, journaliste au sein de la petite mais inlassable équipe de Village Magazine, a séduit le jury par sa sensibilité et sa profondeur.
Sous le regard bienveillant de Sylvie Le Calvez, directrice et fondatrice du trimestriel, Axel Puig est revenu sur la ligne éditoriale du magazine et de ses numéros spéciaux, marquée par la recherche d’initiatives citoyennes, d’innovations rurales et de bonnes nouvelles venues des campagnes.
Pour « Normalement, je n’étais pas censée avoir le brevet, donc, ouais, je suis fière » : à la maison familiale rurale, les filles du coin raccrochent à l’école
Sur le podium également, Camille Bordenet, journaliste au Monde et habituée du prix, a été distinguée pour son reportage consacré aux jeunes des Maisons familiales rurales (MFR), souvent oubliés de la grande famille de l’école et de la formation.
Pour « Vieillir à la campagne : une histoire de solidarités »
Quant à Louis Faurent, de La Croix L’Hebdo, il a su mettre en lumière, à travers son sujet sur les solidarités et le vieillissement à la campagne, la justesse et la profondeur du travail mené par le supplément devenu une référence dans la narration des territoires.
Pour « Le café associatif de Sainte Marguerite de Carrouges »
Le café chaleureux de Damien Migniau-Boisgallais (France 3 Normandie)
À Sainte-Marguerite-de-Carrouges, dans l’Orne, Damien Migniau-Boisgallais a posé micro et caméra pour capter des sons et des images qui redonnent l’espoir de vivre sur ses terres. Les habitants y ont redonné vie au café du bourg, qu’ils gèrent de façon associative, avec pour seul objectif de favoriser les rencontres, les échanges et la convivialité.
Mais ce n’est pas l’essentiel ! Ici, les cartes défilent pour un jeu sans vainqueur, sinon celui de la cohésion et du bonheur de vivre ensemble. Souvent traité de manière caricaturale, le thème de la solidarité du quotidien trouve, sous l’œil sensible du réalisateur, une profondeur rare. Le lauréat a su laisser la parole aux habitants, donnant ainsi toute sa force à ce témoignage de vie locale. Le rôle irremplaçable de la télévision de proximité trouve là une belle illustration.
Pour « Pourquoi la vie à la ferme est-elle devenue
si compliquée ? »
Dans un tout autre registre, Guillaume Thorel de TF1 est venu à la ferme raconter le quotidien angoissant des éleveurs, livrant un reportage poignant sur la précarité et la détresse de nombreuses familles rurales. Accompagné de Léo Lemaître, reporter d’images, il montre que dans le monde agricole, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne.
À la question : pourquoi la vie à la ferme est-elle devenue si difficile ?, le duo répond par des images fortes — celles des contraintes horaires, des factures qui s’accumulent, et d’une vie personnelle et familiale mise à rude épreuve.
Pour « Un an dans les pas d’une agricultrice »
Il a d’abord remercié le jury, puis lu quelques lignes mûrement réfléchies. Des mots sortis du cœur, portés par une sincérité bouleversante.
Dragan Perovic, journaliste à La Montagne, est un immigré serbe arrivé en Limousin sans connaître un mot de français, devenu au fil du temps un formidable raconteur de la vie des campagnes.
En recevant le Grand Prix de la presse quotidienne régionale et départementale, Dragan Perovic a évoqué son père disparu, à qui il dédie cette distinction. Le moment fut empreint d’émotion, comme l’ensemble de son parcours.
Son travail au long cours, mené pendant quatre saisons aux côtés de Cathy, jeune agricultrice corrézienne, en témoigne. Dans sa ferme, dans son intimité comme dans son rôle d’élue municipale, Dragan a raconté les joies, les colères, les combats quotidiens d’une vie rurale exigeante mais passionnée.
Un pari audacieux pour un journaliste de PQR : tenir sur la durée, approfondir, observer sans juger. Pari réussi grâce à sa ténacité et au soutien de son rédacteur en chef, Tanguy Olivier.
Pour « Série Les nouveaux bergers d’Ariège »
Le prix spécial a été attribué à Romain Bouquet-Littre, de La Dépêche du Midi, pour son reportage sur de jeunes bergers ariégeois confrontés à la solitude et à l’adversité. Loin du folklore pastoral, il restitue avec justesse leurs doutes, leurs questionnements, leur rapport intime à la montagne.
Pour « Le loup a colonisé leur département et leur esprit : avant le Doubs, la Drôme a appris à vivre avec le prédateur »
pour « IVG, contraception : dans un désert médical, un Planning familial itinérant »
pour « Amandiers et figuiers au milieu des vignes : en Savoie, tout un village plante des arbres »
Pour « Le rayon d’humanité des multiservices »
Déjà lauréat du prix PHR de la Fondation Varenne, partenaire du Prix Médias, Dominique Barret, du Journal du Médoc, ne récidive pas par hasard.
Son Grand Prix de la presse hebdomadaire régionale salue à nouveau son regard affûté, son sens de l’observation et son talent pour la chronique sociale d’un quotidien en apparence ordinaire mais riche d’humanité.
Dans son reportage consacré à un commerce multiservices de village, il raconte avec finesse les échanges, les petites habitudes, la sociabilité d’un lieu où se tisse, jour après jour, un lien social essentiel.
Pour « Mouloud, Youssef, Ziko : princes de l’arène»
Autre distinction : Simon Challier, de La Gazette de Montpellier, s’est vu décerner un prix pour son sujet sur les courses camarguaises. Dans ces arènes où les taureaux défient les hommes – souvent de jeunes Maghrébins – sans mise à mort, le journaliste met en lumière un paradoxe fascinant : celui d’une intégration silencieuse dans des villages du Gard ou de l’Hérault où l’extrême droite progresse pourtant.
Un travail d’équilibre et de nuance, salué unanimement par le public et les partenaires.
Pour « Dans des milliers de villages, la fin des rues sans nom ni numéro »
À ceux qui prétendent que Le Monde observe la France uniquement depuis Paris, Camille Bordenet et Pascale Kremerapportent un démenti éclatant. Toutes deux ont signé des reportages ancrés dans les réalités locales, recueillant la parole d’anonymes loin de tout spectaculaire.
Déjà lauréate de la première édition, Camille Bordenet s’impose cette année avec un sujet consacré à la disparition progressive des rues sans nom ni numéro, souvent au détriment d’appellations chantantes de lieux-dits.
Cette initiative, portée par La Poste, bien que parfois critiquée, n’a pas manqué de susciter la réflexion.
En sillonnant les campagnes, la journaliste capte les grands bouleversements comme les blessures plus discrètes, mais toutes révélatrices d’une profonde transformation du monde rural.
Pour « C’est un peu le village d’Astérix ! » Celles devait être englouti par le lac du Salagou ; il a été épargné. Cinquante- cinq ans plus tard, une poignée d’habitants triés sur le volet bâtissent leur cité idéale ».
De son côté, Pascale Kremer s’est intéressée à un village de l’Hérault, épargné par les eaux du lac du Salagou il y a cinquante ans, et dont les habitants ont bâti, contre toute attente, une véritable cité idéale.
Pas de superlatifs ni d’effets de style : un ton juste, une écriture maîtrisée, un récit porté par l’engagement et la dignité.
Un reportage salué par Jérôme Fénoglio, directeur du journal Le Monde, heureux d’illustrer ainsi la rigueur et l’exigence de la ligne éditoriale du quotidien.